Ces onze villes forment une série soigneusement sélectionnée parmi les centaines de villes thermales d’Europe. Ce bien transnational (réunissant sept pays différents) est reconnu comme apportant un témoignage exceptionnel sur le phénomène du thermalisme européen qui a atteint son apogée entre le XVIIIe siècle et les premières décennies du XXe siècle. Les sources, les établissements thermaux, les lieux de promenades, opéras, théâtres, pavillons de musique, gares, parcs, cafés, golfs ou hippodrome… tout ce que l’on conserve aujourd’hui de cette période faste, témoigne de cette valeur immatérielle exceptionnelle. A première vue, cette inscription au Patrimoine mondial Unesco parait couler de sources. Mais pour arriver à décrocher le précieux label, il fallait avant tout répondre à un cahier des charges très précis. On y parle de bien, de critères, d’attributs et de sites… Explication de texte.
Un bien
C’est ainsi que l’UNESCO désigne les éléments qu’elle consacre pour souligner la valeur universelle, le trésor irremplaçable qu’ils représentent pour l’humanité toute entière. Pour prétendre intégrer l’inventaire du patrimoine mondial, un bien doit donc représenter une valeur inestimable pour l’humanité, mais encore doit-il apporter la preuve de cette contribution en satisfaisant à au moins un critère sur les dix édictés par l’UNESCO.
sur 2 critères
L’UNESCO a ainsi reconnu que la candidature en série des Grandes villes d’eaux d’Europe répondait à deux critères.
- Le premier stipule que le bien doit « témoigner d’un échange d’influences considérable pendant une période donnée ou dans une aire culturelle déterminée, sur le développement de l’architecture ou de la technologie, des arts monumentaux, de la planification des villes ou de la création de paysages. »
De fait, les villes d’eaux ont été des lieux de recherche et d’échange d’idées et de connaissances favorisant ainsi de façon majeure le progrès médical et scientifique. Selon le même mécanisme mais dans un registre différent, du XVIIIe siècle au début du XXe siècle, les grandes stations thermales ont également concouru à la dissémination des grands courants artistiques et architecturaux dans les villes européennes. - Le second critère implique qu’un bien doit « apporter un témoignage unique ou du moins exceptionnel sur une tradition culturelle ou une civilisation vivante ou disparue ». Sur ce point, l’UNESCO a admis que les grandes villes d’eaux d’Europe ont été le théâtre d’une tradition culturelle qui s’est épanouie du XVIIIe siècle au début du XXe et qui consistait à « prendre les eaux ». Il ne s’agit pas là seulement d’une pratique curative, mais encore d’un ensemble d’activités sociales et de pratiques récréatives associées à la cure.
sur 6 attributs
Les grandes villes d’eaux d’Europe partagent un ADN familial qui a légitimé leur candidature en série. Ce patrimoine génétique unique s’exprime en caractéristiques communes qui permettent de mesurer la valeur universelle exceptionnelle apportée à l’histoire et au patrimoine de l’humanité.
- L’emplacement et le cadre
Il y a un Wanderer qui sommeille dans chaque curiste et il faut lui donner à voir, à contempler. Dans certaines stations une topographie escarpée suffit à créer la dramaturgie, mais lorsque la nature n’y suffit pas, la main de l’architecte, du bâtisseur ou du jardinier est à l’œuvre pour créer des panoramas, inventer des rivières, planifier des surprises, calculer des hasards.
- Les sources
L’eau de la source thermale est le produit d’un cycle lent, d’un long chemin. Et ce sont ces rencontres géologiques inopinées, au gré des failles souterraines, qui font sa stabilité, sa composition chimique et la formidable diversité de ses propriétés naturelles : température, goût, débit, pression, clarté, pureté, minéralité, gazéité, radioactivité…
C’est aussi autour de la matière première des sources que les protocoles médicaux se sont cristallisés, que le bain, la boisson, l’inhalation, l’injection de gaz ou l’application de péloïdes thermaux ont été codifiés et qu’enfin toute une organisation et une infrastructure de soins se sont déployées partout en Europe. - L’ensemble urbain de la ville d’eaux
En Europe, le développement des villes d’eaux obéit à un programme urbain commun, se déploie selon un plan thermal qui rationnalise l’espace tout en répondant aux attentes de curistes toujours plus nombreux. À partir de la source, le paysage thérapeutique se propage en cercles concentriques à travers la ville, créant un environnement apaisant. Le barycentre c’est la source qui devient buvette elle-même intégrée au « trinkhalle ».C’est le point de départ de la promenade, routine du curiste, qui vise à stimuler l’assimilation des eaux entre deux buvettes. Puis vient le kurhaus, le foyer, la maison du curiste où, entre deux concerts au kiosque, on se repose et on socialise. À quelques pas, voilà l’établissement thermal toujours plus grand et plus luxueux. Puis viennent les espaces récréatifs et culturels à proprement parler : salles de spectacle ou de concert, opéras, théâtres et casinos. Quelques pas encore et c’est le domaine des hôtels et des innombrables villas invitant à la villégiature. Enfin, époque oblige, la journée s’achève comme elle avait commencé, par une cérémonie religieuse aussi cosmopolite que la fréquentation de la station, à la synagogue, au temple, à l’église anglicane ou orthodoxe.
- Le paysage thérapeutique et récréatif
Le parc thermal est une mise en scène culturelle de la nature qui confère au paysage un pouvoir curatif complémentaire de la cure elle-même. Pour rompre avec la maladie, il faut rompre avec ses habitudes, son quotidien, se dépayser. Il faut entreprendre un voyage initiatique vers la santé, un retour vers l’état de nature. Dans le même registre des activités nouvelles, dès la fin du XIXe siècle, les grandes villes d’eaux se sont dotées d’infrastructures sportives, telles que le golf, le lawn-tennis, l’hippodrome, adaptées à la pratique émergente de distractions hygiénistes et sociales.
- Les infrastructures de soutien
Parmi les attributs communs on trouve un ensemble d’infrastructures plus liées à l’essor de l’activité thermale : sites artisanaux, industriels ou commerciaux dédiés au captage, à l’extraction, l’acheminement, la production, le conditionnement et l’expédition des eaux, sels minéraux, pastilles, crèmes, boissons et autres produits dérivés ; infrastructures ferroviaires ; infrastructures liées à l’approvisionnement et au ravitaillement.
- Des foyers de création de valeurs scientifiques et culturelles internationales
Sixième et dernier attribut, immatériel celui-ci, leur contribution à la culture scientifique et artistique, ainsi qu’à l’émergence d’un patrimoine local. Les grandes villes d’eaux européennes ont attiré une incroyable concentration d’artistes, compositeurs, musiciens, comédiens, peintres, écrivains et poètes parmi les plus avant-gardistes et talentueux de leur époque. Ils y trouvaient une inspiration, une scène et un public acquis à leur art. De même les échanges et influences artistiques des architectes de l’Europe entière contribuèrent à une diffusion transnationale des styles architecturaux et décoratifs : Belle époque, Art nouveau, Art déco… Et dans ces véritables capitales d’été que furent les grandes stations thermales européennes, le monde entier se rassemblait et socialisait. Ces premières grandes migrations étaient déjà l’occasion de faire des affaires ou bien, dans les stations élues par les gouvernants du monde d’alors, d’entretenir des relations diplomatiques dans un contexte plus informel. Ainsi, grâce à leur capacité d’hébergement, les grandes villes d’eaux ont accueilli toutes sortes de grandes manifestations et des congrès.